En Suisse comme ailleurs, acquérir ou vendre une entreprise est souvent présenté comme un choix stratégique, un levier de croissance ou de transmission. Mais derrière la mécanique transactionnelle et les indicateurs financiers, se cache une vérité plus profonde : la réussite d’une fusion ou d’une cession repose avant tout sur la qualité de la gouvernance.
Une stratégie claire, ou rien
Toute opération de fusion-acquisition devrait découler d’une stratégie d’entreprise mûrement réfléchie. Cela suppose une vision à long terme, partagée par les parties prenantes, et non une réaction opportuniste à une fenêtre de marché ou une sollicitation inattendue.
L’enjeu est d’identifier clairement le but de l’opération : renforcer une position concurrentielle, intégrer des compétences, accélérer une transition numérique, conquérir un nouveau marché. Dans ce contexte, le Conseil d’administration ne peut pas se contenter de valider une décision : il doit challenger les hypothèses, explorer les alternatives, et s’assurer que l’opération alimente la stratégie plutôt qu’elle ne la détourne.
La culture d’entreprise : l’actif intangible souvent négligé
Nombre d’opérations échouent non pas pour des raisons financières, mais culturelles. La fusion de deux organisations, même complémentaires sur le papier, peut générer tensions, incompréhensions, désalignement. Si les modes de gouvernance, les rythmes décisionnels ou les styles managériaux s’opposent, les synergies attendues deviennent vite des illusions.
Anticiper cette réalité suppose d’intégrer, dès les premières étapes, une évaluation qualitative de la compatibilité culturelle. Cela implique d’aller au-delà des chiffres et d’investiguer les pratiques, les valeurs implicites, les attentes des équipes. Une acquisition ne réussit jamais sans l’adhésion des personnes qui la vivront au quotidien.
Gouverner sans interférences : prévenir les conflits d’intérêts
Toute décision stratégique prise au niveau d’un Conseil d’administration doit reposer sur un principe fondamental : l’impartialité. Or, dans la réalité, de nombreux conseils sont traversés par des tensions d’intérêts, parfois visibles, souvent latentes.
Cumul de fonctions, liens personnels ou professionnels, pressions de certains actionnaires : autant de facteurs susceptibles d’influencer – ou de faire apparaître une influence – sur les décisions. C’est pourquoi la transparence n’est pas seulement une exigence juridique, mais une condition de légitimité.
Une gouvernance saine met en place des mécanismes explicites : déclaration systématique des situations sensibles, retrait des administrateurs concernés lors des délibérations critiques, séparation entre les temps de discussion et les moments de décision. Ce sont des gestes simples, mais qui renforcent la solidité des choix stratégiques.
L’intégration : là où tout commence
Trop d’entreprises abordent la signature d’un contrat d’acquisition comme la fin du processus. En réalité, c’est le point de départ le plus exigeant. C’est lors de l’intégration que se révèlent les vrais défis : aligner les process, clarifier la nouvelle organisation, maintenir la motivation des équipes, éviter la perte de repères.
Réussir cette étape suppose un plan d’intégration défini, piloté, doté de ressources, et inscrit dans une temporalité claire. Ce plan doit maintenir le cap stratégique tout en permettant des ajustements tactiques. Car intégrer, ce n’est pas fusionner mécaniquement : c’est bâtir un nouvel équilibre.
Le rôle déterminant du Conseil
Dans chaque phase – réflexion stratégique, évaluation, décision, exécution – le Conseil d’administration joue un rôle pivot. Il ne s’agit pas d’un rôle symbolique, mais d’un levier actif de création de valeur. C’est au sein du conseil que se structurent les conditions de succès : vision partagée, alignement d’intérêts, intégrité des processus, anticipation des risques.
Une gouvernance efficace repose sur trois piliers : la qualité des profils, la rigueur des pratiques, et la capacité à instaurer une culture de dialogue lucide. Le conseil n’est ni un contre-pouvoir, ni un spectateur. Il est le garant de l’intérêt supérieur de l’entreprise – et à ce titre, le véritable architecte de la réussite.
En conclusion
Une fusion-acquisition ne se résume pas à un prix ou à une signature. C’est un acte collectif de transformation, qui engage l’ensemble de l’organisation, dans la durée. Pour être réussie, elle exige bien plus que des modèles financiers ou des conseils juridiques : elle appelle à une gouvernance exigeante, humaine et structurée. Dans un monde où la complexité augmente, c’est cette gouvernance qui fait la différence entre une croissance durable… et un rapprochement voué à l’échec.